Que cherchait donc
Baudelaire, que Rimbaud judicieusement qualifia de « premier
voyant », si ce n’est de suggérer les sensations et les états de l’âme, de
donner un nom au ressenti, de dépeindre l’indicible activité de ce que Pessoa
appelait « l’esprit corporel » ?

La destination de la poésie moderne est de conjuguer
corps et esprit, son voyage de rendre nos sens intelligibles et notre intellect
sensuel, son point de départ le constat inacceptable de la distance entre le
Verbe et l’action. Dans l’acte, nul ne sait échafauder de raisonnement et moins
encore de discours explicitant son acte. A l’opposé, dans l’élaboration ou la
transcription d’un raisonnement, nul ne peut s’adonner en simultané à une
activité physique délibérée.
En cela, Sade apparaît comme le précurseur de la poésie
moderne. L’un de ses exégètes, Yvon Belaval, le note très justement en évoquant
les personnages sadiens : « Ils disent tout ce qu’ils disent et
font ». De fait, les personnages de Sade s’expriment intelligiblement
tandis qu’ils tressaillent à la faveur d’un orgasme. L’un des plus grands théoriciens-poètes de
l’œuvre sadien, Antonin Artaud illustre ce paradoxe ainsi : « Il y a
un esprit dans la chair, mais un esprit prompt comme la foudre. Et toutefois,
l’ébranlement de la chair participe de la substance de l’esprit ». Le corps vit par l’esprit, l’esprit par le
corps, mais il demeure impossible, même au plus brillant des poètes,
d’expliquer cette interdépendance. Artaud encore : « Je ne me livre
pas à l’automatisme sexuel de l’esprit, mais au contraire dans cet automatisme
je cherche à isoler les découvertes que la raison ne me donne pas ».
Hélas, il cherche, sans trouver, sans jamais n’accéder à un autre état que la
suggestion de cet occulte lien existant en tout être humain.
D’où
la résignation de certains chercheurs ou voyants,
pour reprendre le terme rimbaldien. Henri Thomas : « Le mot le
plus juste est encore vain, / puisqu’ici le corps est tout le mystère. »,
ou la météorite des lettres portugaises, Mario de Sa-Carneiro :
« J’ai tout entamé mais rien possédé… / De moi, aujourd’hui, ne me reste
que le désenchantement / des choses que j’ai embrassées mais pas vécues »,
ou encore René Char : « Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré
désir ».
Sade
est donc le premier à buter contre cette conscience d’un inaccessible, perçu au
travers du voile d’un inconscient laconique, ressenti par la logique diffuse
d’un déterminisme du corps, prolixe émission de nos sens émanant de nos instincts.
L’esprit
du corps est bien le plus difficile à cerner, et nous n’en pouvons connaître
que le cadre structurel : l’action, et plus généralement, l’érotisme.
L’érotisme est le codex utilisé pour l’énoncé de tout acte délibéré. Il est
nécessaire à la prévisualisation d’un acte,
gère l’adaptation du corps à l’acte en prévoyant l’énergie requise, mais
aussi le scenario, sa structure narrative, intelligible.
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